Courrier de l’Escaut : Identités de Vaclav Stratil
Neuf variations sur l’autoportrait dans le cadre des «Transphotographiques» au musée des Beaux-Arts à Tournai.
Après les autoportraits de Nathalie Amand à Ath (voir nos éditions du25 mai), voici ceux de Vaclav Stratil. De quoi mettre un peu de l’insolite contemporain dans un musée essentiellement tourné vers son passé. Parmi les innombrables manières de transmettre sa propre image, le photographe Tchèque a opté pour la fiction. Il se met en effet lui-même en scène dans des apparences diversifiées. Il est donc, presque toujours, identifiable. Pourtant, sous chaque aspect, il est chaque fois un personnage nouveau. De la sorte, il rejoint cette affirmation célèbre d’Arthur Rimbaud : « Je est un autre ».
Sans doute, à l’origine, cette démarche peut paraître facile, voire simpliste. Elle n’est certes pas neuve. Bien des peintres ne se sont pas uniquement représentés en train de peindre. Mais le côté systématique de la démarche de Stratil est une interrogation posée à propos de l’individu. Si un cliché est destiné à un passeport ou à une fiche pour dossier judiciaire, il se doit d’être neutre, de donner de la personne une. image immédiatement reconnaissable, sans autre composant qu’un visage nu destiné à une identification directe. Lorsqu’il s’agit de donner à la photographie le statut d’œuvre d’art, le réel brut est insuffisant. Déjà, le fait d’utiliser la série – au lieu d’une unique prise de vue sur des objets sans cesse diversifiés – provoque une distorsion de la réalité. L’accumulation met le regardeur en position de s’interroger à propos des modifications apportées au sujet. Le pourquoi et le comment du traitement que celui-ci subit devient la méthode à suivre pour tenter de saisir ce que cache la banalité des apparences.
Une sorte d’autodestruction
En ce cas précis, voilà Stratil absent et présent, tête recouverte d’un linge, comme Les Amants du tableau de Magritte. Autrement vu, il est, au sens propre dé-figuré, privé de sa figure, alors qu’il s’agit bel et bien d’un autoportrait. Ailleurs, le visage est plus ou moins dissimulé. Là, par des loupes oculaires ; ici, par un voile ou une fourrure portée au sommet du crâne à l’orientale. En réalité, Stratil ne cesse de s’agresser. On dirait qu’il porte sur lui un regard masochiste, qu’il a besoin de déformer sa face, de la mettre en danger. Par exemple lorsqu’il donne son œil droit à agripper par le bras amputé d’une poupée enfantine. Ou lorsqu’il dépose sa pommette sur un tronc coupé, faisant ainsi allusion à un billot pour condamné à décapitation. C’est encore le cas quand il s’ajoute un cerne d’œil au beurre noir tandis qu’il se courbe en une attitude de soumission triste. Et même avec sa présentation de joue où la lame a emporté une partie de la mousse à raser. Chez Stratil l’homme se révèle par les jeux d’une identité aux signifiés écorchés.
Michel VOITURIER