Le Courrier de l’Escaut : Les Modern Lovers de Bettina Rheims
Vu la frilosité financière et l’indifférence culturelle des autorités tournaisiennes vis-à-vis des Transphotographiques lilloises, c’est à Courtrai qu’il faudra aller voir les portraits réalisés par Bettina Rheims. Aussi mondialement célèbre par ses provocations que par sa rigueur esthétique, elle présente une expo inaugurée naguère à Charleroi. Lorsque le visiteur déambule parmi les représentations de très jeunes gens sélectionnés par l’objectif, il est d’abord pris dans le faisceau des regards qui le dévisagent, s’évadent vers le ciel ou glissent en coin non sans quelque ironie. Ils posent figés à jamais. Nus ou à demi couverts, ils exposent leur épiderme et interpellent. « Pour moi, affirme Bettina, c’est comme si toute la lumière était absorbée par la peau avant d’être restituée de » L’attention qu’elle lui porte se traduit par le surgissement de détails infimes autant que multiples qui captent l’attention. Sans doute est-ce à cause de cela que, peu à peu, s’insinue dans l’esprit des visiteurs l’idée de vieillissement et de mort. Comme si la fragilité des flues se révélait à travers le passage du réel à une image en noir et blanc. L’artiste confie : « C’est vrai. Au moment où j’ai réalisé ces clichés, c’était lorsqu’on commençait à parler du sida. J’ai tenté de montrer combien une jeunesse, à la période de sa vie où elle peut découvrir son corps et l’amour, était désormais vouée à la peur. Comme si, par une sorte d’androgynie, elle s’efforçait de séduire autrement. »
Du coup, l’apparence des personnes saisies par l’appareil photo devient celle de personnages ambigus. Quel que soit leur sexe, ils tiennent à la fois de la femme et de l’homme. Et si. pour quelques-uns, des indices semblent lever les incertitudes, pour I. autres le doute se perpétue. L’implacable précision des tirages et le côté sophistiqué des attitudes engendrent un malaise. D’objets mis à plat sur le papier, ces garçons et ces filles se métamorphosent en balises pour une interrogation fondamentale à propos de l’existence.
Michel Voiturier