JS Cartier : Traces de la Grande Guerre
Guerre si lointaine et si proche à la fois… Qui, pour les jeunes d’aujourd’hui, prend place dans la nuit des temps. En 1914, on écoutait des disques, il y avait déjà des téléphones, des avions, des courses automobiles, des cinémas et à Paris, on prenait le métro. En Allemagne, une ligne aérienne reliait les grandes villes par dirigeables.
Quand le conflit éclate, la Belgique et le Nord de la France sont parmi les premières régions envahies. Tout au long de la « guerre des tranchées », de la fin 1914 au printemps 1918, les zones les plus « chaudes », celles où eurent lieu les combats les plus meurtriers sont le Nord, le Pas-de-Calais, la Flandre belge, la Somme, le Chemin-des-Dames et Verdun. Il y a encore de nombreux vestiges, souvent laissés en l’état. A Pérenchies, dans le Nord, des bunkers marqués « 1915 » occupent encore les rues ; les faire sauter aurait détruit les maisons alentour. A Aubers, il existait encore 95 abris allemands en 1995. Seules les colonnes d’une église ont survécu à Méricourt, dans le Pas-de-Calais. À « Hill 60 » (cote 60), à Zillebeke, en Belgique, les combats furent si acharnés que la terre reste une « carte en relief de souffrances oubliées » (Robert Cowley). De nombreux soldats gravèrent leur nom sur des murs d’église, pour s’assurer de la postérité et d’un salut éternel, ayant eux-mêmes de fortes chances de disparaître.
Le projet “Front Ouest“ a débuté dès 1984 et s’est développé sur dix ans. Le but était de créer une sorte de « monument photographique », démontrant par les vestiges encore visibles sur les champs de bataille que cette guerre, qui a pris une dimension mythique, avait été bien réelle, puisqu’il y a encore des « pièces à conviction » pour le prouver.
L’auteur-photographe, de formation plasticienne, a voulu créer des « œuvres d’art » ayant en même temps une valeur documentaire, dans la tradition des photographes américains célébrant au cours des années 1860 le Grand Ouest, de l’Anglais Francis Frith voyageant en Egypte ainsi que d’Eugène Atget en France, des frères Seeberger et des frères Bisson, pour n’en citer que quelques-uns.
JS Cartier
Ce projet a notamment reçu le soutien financier des Conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais, de la Leverhulme Foundation (Londres), ainsi que l’aide des Archives départementales du Pas-de-Calais.
Comme il l’exprime lui-même, JS Cartier opère au carrefour du document et de l’art. Dans ce vaste champ de l’histoire, il travaille sur la permanence et non l’instant ; la qualité de la forme photographique, liée au travail à la chambre, sert le message, valorise le contenu, amplifie l’émotion. De la Grande Guerre, il reste généralement des images muettes et tremblantes. Stockées dans un coin de notre mémoire, elles ne procurent plus guère de sensations quand il nous arrive de les revoir sur un écran de télévision. Le travail de JS Cartier fait revivre autrement cette tragédie. Il rassemble des traces qui stimulent l’imagination pour qui sait regarder avec attention ses photographies. Celles-ci mettent en perspective les lieux des combats. Mais elles s’arrêtent aussi sur des détails qui sont comme autant de fragments de vie. Cette proposition engagée il y a plus de 25 ans déjà fait en quelque sorte école. Car aujourd’hui, photographier la guerre à la manière des Robert Capa ou des Larry Burrows relève pour toutes sortes de raisons de l’utopie. Et c’est souvent après l’événement que le photographe peut véritablement donner la mesure d’un conflit. Quand un calme relatif est revenu. C’est dans les cicatrices, sur la peau mais aussi à la surface de la terre ou de l’architecture, que l’on mesure souvent la violence. Dans les paysages de la Grande Guerre, le calme est revenu depuis longtemps, mais la violence a été si intense que les lieux en portent toujours la trace.
Gabriel Bauret
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Exposition du 26 mai au 26 juin 2011
Jivenchy © JS Cartier
St Nazaire © JS Cartier
Autoportrait © JS Cartier
Lieu : Tri Postal
Avenue Willy Brandt, Lille